Garde le chabbat, il te gardera !
Vayakhel-Pékoudé - Exode 35:1 - 40:38


Nous étudions donc deux parachiot : Vayakhel et Pekoudei, qui concluent ainsi l’Exode. En effet, elles peuvent difficilement se dissocier l’une de l’autre, elles forment un tout. Il s’agit donc de deux parties distinctes qui sont lues ensemble depuis que nous avons adopté une lecture annuelle de la Torah. Cette paracha débute sur Moïse qui, après être descendu du Sinaï pour la troisième fois, rassemble le peuple et renouvelle le commandement d’observer le Chabbat : « durant six jours le travail sera fait et le septième jour sera saint pour vous, un repos complet pour l’Eternel ». Il transmet alors les instructions divines concernant l’édification du Tabernacle. La paracha reprend le commandement d’observer le chabbat, en insistant sur la nécessité de n’accomplir aucun travail. Les Israélites à son instigation apportent des offrandes d’or, d’argent, de cuivre, de pierres précieuses, de lin, de bois, d’huile ou d’épices pour le Tabernacle. Face à la générosité du peuple, Moïse est contraint de leur demander de cesser et, sous la direction de Betsalel et Oholiab, les artisans qualifiés façonnent le Tabernacle et tout ce que le Temple contient. Ce n’est que lorsque les mishkan est achevé que Moïse et les Israelites le célèbrent par l’onction et que D.ieu remplit le sanctuaire de sa présence afin de guider le peuple tout au long de ses pérégrinations.

Moïse, un homme, un rassembleur

Moïse est le porte-parole de la sagesse d’en haut, il est le premier grand rassembleur du peuple juif, avant Salomon qui vient à sa suite comme le « maître de la sagesse d’en-bas ». Moïse rassemble en usant du verbe, de la parole… Cela est intéressant si l’on y réfléchit… Berechit… au commencement était le verbe et pour nous, peuple de la religion du livre, le verbe est au centre de nos vies. Au début, lorsque Moïse revient du désert pour libérer son peuple, son verbe n’est pas entendu… Le peuple est trop asservi pour entendre Moïse. Puis le verbe se fait fort et enfin le peuple, en même temps que Pharaon, dresse l’oreille. Moïse rassemble par les mots, Moïse a sauvé le peuple de l’esclavage par les mots, Moïse a fait adhérer le peuple aux commandements grâce aux mots, Moïse a sauvé le peuple du courroux de D.ieu, après le veau d’or, par les mots encore… D’ailleurs nous avons vu que D.ieu, à maintes reprises, ne dit pas à Moïse comment faire passer ses prescriptions et laisse à Moïse le choix des mots qui sauront rassembler le peuple sous le Sinaï, sous le joug libérateur de la Loi, en toute liberté ! C’est tout cela qui est contenu dans les premiers mots Vayaqhel Moché. Rachi explique, à propos de ce passage que cela se déroule « au lendemain du jour de Kippourim, lorsque Moché descendit de la montagne. La forme verbale est un hif’il. Il n’a pas réuni les hommes par ses mains, ils se rassemblent par sa parole ». En effet, en écrivant il les fit se rassembler au lieu d’il les rassembla, on voit que par ses mots Moïse les invita à se ressembler… Il n’y a pas d’idée de contrainte… Moïse est un homme de la Loi et un homme de la prière : « Homme de la Loi, il porte la parole qui va de D.ieu à l’homme. Homme de prière, il porte la parole qui va de l’homme à D.ieu. Homme de l’unité de D.ieu, c’est en cela qu’il est le « rassembleur », garant de l’unité des hommes » (L. Askenazi, Leçon sur la Torah, p. 223)

L’observation du chabbat, sanctification du repos

On débute sur la liste des tâches qu’il convient de ne pas accomplir chabbat afin que celui-ci soit un jour de repos complet mais aussi que ce jour soit consacré à la célébration du chabbat !

La nécessité pour les Israélites de conserver et célébrer le chabbat est mentionné plusieurs fois et un dicton Yiddish rappelle l’importance du chabbat comme signe de l’alliance : « Si les Juifs ont gardé le Chabbat, le Chabbat les a gardés bien plus encore ». D’ailleurs, le Rabbin Léo Baëck d’ajouter qu’« il n’y a pas de judaïsme sans chabbat » (Isaïe 58 :13 ; Pesikta Rabbati 23).

Ici, alors que Moïse fait se rassembler le peuple pour ordonner les offrandes et organiser la construction du sanctuaire, il rappelle qu’aucune de ces tâches ne sauraient être accomplies le jour du chabbat. Après un travail de 6 jours, ils devront observer une journée de repos complet et que rien ne doit primer sur la célébration du chabbat : ni le travail, ni même la construction du sanctuaire ! La sanction est lourde pour quiconque violerait la prescription : c’est la mort (Exode, 35 :12), sanction que le Talmud abrogera par la suite. La Torah reprend à douze reprise le commandement de ne pas travailler durant le chabbat et un certain nombre d’interdits sont alors affirmés : interdiction de faire du feu, de cuisiner et de cuire des aliments au four, de labourer et de moissonner, de transporter des objets, de faire des affaires et de commercer… Les rabbins ont alors très vite considéré que toutes les activités qui avaient été nécessaires à la construction du Tabernacle étaient également interdites sans quoi, Moïse aurait permis qu’elles fussent accomplies chabbat. Ils identifièrent ainsi trente-neuf activités prohibées pendant le chabbat : semer, labourer, récolter, lier en gerbes et battre les céréales, vanner, trier, moudre, tamiser, cuire, pétrir, tondre, laver, carder ou teindre la laine, filer, tisser, faire des boucles de tissage, tisser deux fils, séparer deux fils de la trame, faire et défaire un nœud, coudre deux points, découdre deux points pour les recoudre, chasser une gazelle, l’abattre, l’écorcher, saler, racler et tanner sa peau, la découper, écrire plus de deux caractères, effacer afin d’écrire, construire, démolir, allumer ou éteindre un feu, marteler, transporter (Mishna, traité du Chabbat, 7 :2). La liste de ces activités recouvre toute activité et fait du chabbat un jour vraiment chaumé.

Pourquoi cette exigence ? Pour que nous puissions nous consacrer à l’étude de la Torah ! Les anciens rabbins voient dans le chabbat un temps d’examen et d’étude des enseignements de la Torah. En étudiant la paracha de la semaine, chacun s’interroge sur les enseignements qu’il peut en tirer, sur son histoire, sur les dilemmes éthiques que contient la Torah sans cesse éclairés sous un jour nouveau avec les avancées sociétales et technologiques… N’est-ce pas, par exemple, dans la Torah qu’on aborde pour la première fois la question de la mère porteuse quand Sarah donne sa servante à Abraham afin qu’il ait une progéniture ? L’étude de la Torah pendant le chabbat « alimente notre réflexion, nous nourrit de perspectives qui résistent à l’épreuve du temps et d’expériences destinées à enrichir notre compréhension de nous-mêmes, des autres et du monde dans lequel nous vivons. Nous nous abstenons de travailler pendant le chabbat pour bénéficier de la sagesse de l’étude de la Torah » (H.J. Fields, La Torah commentée pour notre temps, L’Exode et le Lévitique, p. 125).

Mais la vertu du chabbat n’est pas que dans l’étude de la Torah. C’est un temps où l’on se pose et où l’on peut prendre le temps de réfléchir à ce qui nous entoure, à nos vies, nos choix. C’est une occasion hebdomadaire de faire le point et d’en tirer des conséquences, des enseignements utiles pour la suite. C’est donc un temps d’introspection.

C’est également un temps de repos. L’homme a besoin de repos pour pouvoir se consacrer au travail les six autres jours. L’idée était alors révolutionnaire à une époque où l’on était soit oisif, soit travailleur et que le repos n’était que celui du temps de sommeil. Ainsi, ne pas travailler le chabbat est un moyen d’accéder à une nouvelle perspective que le mouvement perpétuel rendrait inaccessible mais également un jour de libération. C’est pourquoi nous accueillons le chabbat en chantant et avec un kiddoush. On prononce alors une bénédiction sur le vin en souvenir de l’Exode hors d’Egypte. Le chabbat rappelle à chacun de nous la condition d’homme libre : libre de la servitude d’Egypte, libre de la rentabilité, libre des contraintes d’un quotidien dévorant, libre de ce « travail » qui est devenu le socle de la société moderne. Pendant le chabbat, nous nous retirons en nous : en nos âmes, en nos familles, en nos communautés… nous sortons de ce cycle trépidant pour prier, partager, donner et non posséder, aimer sa famille, ses amis, maîtriser le temps plutôt que le laisser nous dominer et nous asservir… Ainsi, dans nos foyers autour des hallots, du vin et des mets propres à nos racines, nous célébrons le Tabernacle, la sortie d’Egypte, la liberté avec ceux qui nous sont chers. Nous transmettons à nos enfants cet amour de la Loi que Moïse a donné au peuple sous le Sinai. Dans nos synagogues, nous nous rappelons de ce message et nous le faisons grandir en psalmodiant les paroles que des générations et des générations de juifs ont psalmodié avant nous, formant un tout, hors du temps...

Mélanie J.


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